Déclaration de la commission Épiscopale des affaires sociales sur l’élimination de la pauvreté

jeudi le 15 octobre 1998

Dans sa Lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente, Sa Sainteté le pape Jean-Paul II donne les pistes d'action pour la préparation de l'Église au Jubilé de l'an 2000 en insistant de façon remarquable sur la dimension sociale de cet événement. «On doit même dire, déclare le Saint-Père, que l'engagement pour la justice et pour la paix… est un aspect caractéristique de la préparation et de la célébration du Jubilé.»(1)

Puisque l'année jubilaire «devait rétablir l'égalité entre tous»,(2) les membres de la Commission épiscopale des affaires sociales désirent encourager les personnes de bonne volonté à réfléchir sur le moyen de travailler ensemble à instaurer un Jubilé où nous nous engageons pour une plus grande justice. 2. Il y a deux ans aujourd'hui, notre Commission publiait une lettre pastorale intitulée La lutte à la pauvreté, un signe d'espérance pour notre monde. Dans ce message, nous considérions la situation de quatre groupes où la pauvreté s'est concentrée au Canada: les femmes, les peuples autochtones, les personnes déracinées et les familles. Au nom de notre foi, nous en appelions à des actions concertées qui nous associeraient à l'effort universel lancé pour éliminer la pauvreté en nous mettant sur la voie de la solidarité. Comment nous sommes-nous acquittés de cette tâche?

Les derniers chiffres du Conseil national du bien-être social — dont les données nous avaient aussi servi dans notre déclaration pastorale précédente — dressent une situation «extrêmement alarmante.» Le taux de pauvreté atteint 17,6 pour cent au Canada, la pauvreté infantile s'élève à 20,9 pour cent, et même le taux de pauvreté chez les personnes âgées (qui avait diminué) s'est mis à augmenter pour atteindre près de 19 pour cent.(3)

Ces statistiques sont d'autant plus troublantes qu'avec la fin de la récession économique, on aurait espéré une chute des taux de la pauvreté; ce qui ne s'est pas produit. Il semble bien que la marée des bienfaits de l'économie n'ait pas crû au même rythme pour tout le monde. En fait, alors que le quintile le plus riche de la population canadienne a vu augmenter ses revenus, celui des plus pauvres a vu les siens diminuer. Jamais, en 17 ans, le taux de la pauvreté chez les enfants n'a été aussi élevé; le temps n'est-il pas venu de renouveler notre engagement à faire de l'élimination de la pauvreté une véritable epriorité nationale? Comme nous le signalions en 1993, «il est évident que le chômage est responsable, en grande partie, de l'accroissement de la pauvreté, de la faim, du nombre de sans abri, des familles disloquées et des suicides qui affligent aujourd'hui notre société.»(4) Le sort fait aux chômeuses et aux chômeurs de chez nous nous inquiète profondément. En toute justice, ils doivent toucher leur juste part de l'assurance emploi.

Sur le plan mondial aussi, il y a toujours lieu de s'inquiéter. Si on retient les critères de la Banque mondiale, selon lesquels les gens qui disposent de moins d'un dollar américain par jour vivent dans la «pauvreté absolue», il faut admettre que 1,3 milliard de personnes, soit le tiers de la population du monde en voie de développement, vit dans la misère la plus complète. Alors qu'on attribue la volatilité des marchés internationaux à la «grippe économique asiatique», des millions de personnes de plus s'en trouvent condamnées au chômage et à une pauvreté accrue. Malheureusement, les institutions financières internationales ne peuvent empêcher les crises du marché de causer un tort extrêmement grave aux gens ordinaire.

À l'heure de l'économie mondialisée, on laisse les retombées négatives tourner à l'épidémie et se propager plus vite et plus profondément que jamais auparavant. Au moment où les Canadiennes et les Canadiens, ainsi que leur gouvernement s'inquiètent de leur avenir, nous devons réaliser que notre monde interdépendant vit un besoin criant de solidarité, que nous avons tout intérêt à pratiquer. Et pourtant, jamais en 30 ans l'aide extérieure du Canada n'a été si faible, ce qui n'empêche pas le gouvernement fédéral de dépenser presque cinq fois plus pour la «défense» et de couper d'importants projets d'organismes non-gouvernementaux telle que l'Organisation catholique canadienne pour le Développement et la Paix.

Des signes d'espérance

Il y a cependant des signes d'espérance dans la lutte à la pauvreté au pays et à l'étranger. Plusieurs communautés chrétiennes ont mis sur pied des programmes pour nourrir, vêtir et abriter les personnes appauvries. Plus remarquable encore, d'autres groupes aident ces personnes dans leur démarche de recherche ou de création d'emploi, de mise sur pied de coopératives ou la défense de leurs droits.

Nous appuyons, en particulier, l'initiative du Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté qui entreprend une démarche en faveur de l'adoption, par l'Assemblée nationale du Québec, d'une loi sur l'élimination de la pauvreté. Nous appuyons également les activités et les objectifs de Campagne 2000 qui demande au Parlement fédéral de respecter son engagement unanime pour travailler à l'élimination de la pauvreté infantile au Canada d'ici l'an 2000. Nous demandons au Ministre des finances du Canada d'en faire une priorité de son prochain budget et aux partis d'opposition d'appuyer cette initative louable.

Au Canada, le Sénat vient d'adopter un projet de loi visant à ajouter la «condition sociale» à la liste des motifs de discrimination interdits par la Loi canadienne des droits de la personne. Cette législation a pour but de protéger les pauvres contre les discriminations dont ils se plaignent fréquemment de la part des banques, des compagnies de téléphone ou des agences fédérales.(5) En cette année du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, cette loi pourrait prendre valeur de symbole et inciter les Canadiennes et les Canadiens à voir dans la pauvreté bien plus qu'un appel à notre générosité; c'est un problème important de droits humains. La Commission épiscopale des affaires sociales encourage les députés à présenter et à adopter cette loi à la Chambre des Communes, dans les meilleurs délais.

De même, plus de 30 000 Canadiennes et Canadiens ont signé une pétition pour demander au gouvernement fédéral de mettre sur pied un groupe de travail sur les ateliers de misère dans l'industrie de la chaussure et du vêtement. Il est encourageant de constater que les consommateurs sont prêts à utiliser leur pouvoir d'achat pour se procurer des produits fabriqués dans des milieux de travail où sont garanties de bonnes conditions de travail.(6) Bon nombre de détaillants semblent également intéressés à mettre en vente des articles produits dans des conditions adéquates. Nous encourageons le gouvernement fédéral à annoncer, dans les meilleurs délais, la création d'un tel groupe de travail.

Sur la lancée du thème de la justice du Jubilé, une initiative a frappé notre imagination et reçoit déjà un appui massif: c'est la campagne de pétition pour faire annuler, en l'an 2000, les dettes impossibles à rembourser accumulées par les pays les plus appauvris. Mais la «perspective du Jubilé» déborde la question de la remise de la dette: il s'agit d'éliminer les fardeaux accablants qui écrasent les personnes appauvries. «La remise de la dette doit s'inscrire dans un processus de restauration de la justice, de l'harmonie et de l'équité, de manière que les nations les plus pauvres, et les populations les plus pauvres au sein de ces nations, soient en mesure de prendre un nouveau départ, de tourner une nouvelle page, plus riche d'espoirs, de leur histoire.»(7) Nous appuyons avec enthousiasme les efforts de l'Initiative oecuménique canadienne pour le Jubilé, et nous encourageons d'autres groupes à s'y associer, ainsi qu'à la campagne En commun contre la pauvreté mondiale, lancée par les organismes non-gouvernementaux canadiens de coopération internationale.(8)

Se préparer pleinement au Jubilé 2000, c'est pratiquer la justice aujourd'hui en participant à des gestes qui contribueront à éliminer la pauvreté au Canada et à l'étranger. Pour être en mesure de célébrer le Jubilé, nous devrons cultiver une solidarité sans bornes, une immense capacité de prière et une spiritualité capable de nous soutenir dans cette entreprise. Et pour nous aider à vivre selon la volonté de Dieu, nous pouvons compter sur la promesse du Jubilé: «J'établirai ma demeure au milieu de vous… Je marcherai au milieu de vous; je serai votre Dieu et vous serez mon peuple.»(9)

Puissent nos préparatifs pour le Jubilé porter fruits dès maintenant et nous permettre d'espérer un nouveau millénaire de justice et de paix pour tous! 


Mgr François Thibodeau, c.j.m.,
évêque d'Edmundston,
président

Mgr Bertrand Blanchet,
archevêque de Rimouski

Most Rev. Nicola De Angelis,
évêque auxiliaire à Toronto

Mgr Raymond Dumais,
évêque de Gaspé Most

Rev. Peter Sutton, o.m.i.,
archevêque de Keewatin-Le Pas

Most Rev. V. James Weisgerber,
évêque de Saskatoon

1. Sa Sainteté Jean-Paul II, Tertio Millennio Adveniente, no 51.

2. Ibid., no 13.

3. Graham Fraser, «Poverty rates rising, report says,» The Globe and Mail, 11 mai 1998. La définition de la pauvreté retenue par le Conseil national du bien-être social fait référence aux Canadiennes et aux Canadiens à faible revenu, qui consacrent 56,2% ou plus de leur revenu brut aux dépenses de première nécessité soit la nourriture, le logement et les vêtements. Sont exclus de ces calculs: les ménages du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest, ainsi que les personnes vivant dans des réserves indiennes ou des institutions tels que les prisons, les hôpitaux psychiatriques et les foyers pour personnes âgées. Voir: Conseil national du bien-être social, Profil de la pauvreté, 1996, printemps 1998, p. 4-10.

4. Conférence des évêques catholiques du Canada, Commission épiscopale des affaires sociales, Le chômage généralisé: un appel à la mobilisation de toutes les forces du pays, Ottawa, avril 1993, no 21.

5. Voir le projet de loi S-11, parrainé par le sénateur conservateur Mme Ermine Cohen et adopté le 9 juin 1998.

6. Le fait qu'à la suite de la campagne cuménique de l'an dernier plusieurs Canadiennes et Canadiens consomment maintenant du café commercialisé de façon équitable et que plus de 250,000 personnes aient signé des pétitions exigeant que Levi Straus et Nike améliorent les conditions de travail de leurs employés, témoigne d'une prise de conscience croissante en particulier chez les jeunes. Le 17 octobre marque la 3ième journée d'action internationale pour faire pression sur Nike.

7. Cardinal Roger Etchegaray, président du Conseil pontifical Justice et Paix et président du Comité du Grand Jubilé de l'An 2000, «A Jubilee On Poverty», SEDOS, 29 avril 1998.

8. Voir, l'Initiative cuménique canadienne pour le Jubilé et en particulier la Campagne de pétition en faveur de la remise de la dette en cours dans 70 pays. Site web: www.web.net/~ jubilee et Conseil canadien de coopération internationale, En commun: pour en finir avec la pauvreté, http://www.encommun.web.net; voir en particulier le Programme d'action en dix points.

9. Lévitique 26,11-12.

 


– 30 –


Source : Sylvain Salvas
Directeur du Service des communications
Conférence des évêques catholiques du Canada
salvas@cecc.ca
Tél. : (613) 241-9461
Téléc. : (613) 241-9048