Réflexion de la Commission épiscopale pour la justice et la paix de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté le 17 octobre 2010

vendredi le 15 octobre 2010

En ce jour où la communauté internationale examine la situation de la pauvreté dans le monde, la Commission pour la Justice et la Paix de la Conférence des évêques catholiques du Canada estime nécessaire, comme elle l’a fait dans le passé, d’adresser aux Canadiennes et aux Canadiens un bref message de sollicitude, de réflexion et d’espérance.  

L’appel à lutter contre la pauvreté et à vivre dans l’égalité avec nos frères et sœurs humains n’est pas nouveau. Voici plusieurs siècles, Dieu promit aux Israélites, le peuple élu, que s’ils observaient sincèrement l’alliance qu’il leur donnait, « il n’y aurait pas de pauvres parmi eux » (Deutéronome 15,4).  Les lois de l’ancienne alliance qui liaient le peuple de Dieu au cœur de Dieu voyaient loin en prônant de diverses façons le partage et l’égalité économique. Jésus, en venant ouvrir à l’humanité entière la voie qui mène à Dieu, mit l’accent sur l’action généreuse, attitude fondamentale pour progresser sur la route du Règne de Dieu. « Donnez et vous recevrez: une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans votre tablier; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira aussi pour vous » (Luc 6,38).

C’est une bonne nouvelle que des millions de personnes aient été arrachées à la pauvreté depuis quelques décennies, notamment en Chine et en Inde. Mais en dépit des engagements pris par les États pour réaliser les Objectifs de développement du Millénaire des Nations Unies et malgré les efforts de nombreux organismes religieux et non gouvernementaux pour en finir avec la pauvreté dans toutes les régions du monde, il est consternant de voir que plus de 3 milliards d’êtres humains restent appauvris et que 1,3 milliard d’entre eux vivent dans la pauvreté absolue et ne subsistent qu’avec moins d’un dollar par jour.

Ici même au Canada, plus de 3 millions de personnes vivent dans la pauvreté. La plupart d’entre elles sont des enfants. Des parents n’arrivent pas à joindre les deux bouts avec des emplois à temps partiel et mal rémunérés. Un bon emploi stable reste un rêve aussi frustrant qu’éloigné pour un trop grand nombre d’adultes de notre pays, qu’ils soient immigrants qualifiés en quête d’un poste qui corresponde à leurs compétences ou membres des Premières Nations qui ne voient pas sans frustration l’économie de l’autre tourner sans relâche en ignorant leurs communautés. 

Il n’est pas vrai que personne ne prête attention. Bien des voix s’élèvent pour clamer qu’on ne peut laisser les choses en l’état. Mais c’est le pas suivant que, trop souvent, nous négligeons de faire : convenir sérieusement d’agir ensemble pour combler le fossé entre ceux et celles qui sont bien servis par la gestion actuelle de l’économie, et les autres qui sont écrasés par elle.

À certains moments lumineux de notre histoire, nous avons appuyé des initiatives publiques qui ont vraiment réussi à desserrer l’emprise de la pauvreté sur de vastes segments de la population : ainsi, par exemple, la Loi sur la sécurité de la vieillesse, le Régime de pensions du Canada et un système de soins de santé bénéficiant d’un soutien public. Mais à d’autres moments, nous semblons fatigués de combler le fossé entre riches et pauvres. Nous nous prenons à penser que le problème nous dépasse. Nous abandonnons notre avenir aux caprices de marchés libres ou non réglementés, qui favorisent le pouvoir ou l’argent et qui carburent à la cupidité et à l’égoïsme. Nous repoussons les formes de lutte collective qui veulent amener l’économie à nous traiter plus également. Nous devenons trop inquiets pour partager, trop prudents pour rêver.

La deuxième décennie du nouveau millénaire est-elle une de ces époques trop agitées et trop inquiètes pour rechercher l’égalité? Aujourd’hui, la plus grande partie de la nouvelle richesse va à des personnes qui ont déjà plus que ce qu’il leur faut. L’inégalité augmente au Canada. Le fossé croissant entre riches et pauvres menace le pouvoir économique et politique de notre classe moyenne et de la démocratie participative à laquelle nous sommes attachés.

Mais ce n’est pas le moment de désespérer. Des millions de personnes au Canada et à travers le monde travaillent avec acharnement à rendre aux exclus l’espoir et l’accès à davantage de ressources. De nombreux groupes, tel Abolissons la pauvreté, travaillent pour une stratégie nationale visant à réduire la pauvreté et à accroître l’égalité économique.

Nous invitons donc aujourd’hui les Canadiennes et les Canadiens à demander avec nous au gouvernement fédéral de suivre l’exemple de plusieurs gouvernements provinciaux et d’élaborer une stratégie anti-pauvreté pancanadienne. De même, nous exhortons instamment tous les croyants et les croyantes à s’employer dans leur propre vie, à leur travail et dans leur quartier, à ouvrir des portes aux pauvres.

Dans sa dernière encyclique, Caritas in Veritate, le pape Benoît XVI propose un défi exaltant. Il appelle les membres de l’Église à contribuer à civiliser l’économie mondiale en émergence en y injectant l’énergie de l’amour, fondée sur la vérité de la vocation chrétienne à former une seule famille sous le regard de Dieu. Il encourage chacun – employeurs, travailleurs, scientifiques, rédacteurs de lois et de réglementations internationales, professeurs et étudiants – à découvrir comment tirer parti des possibilités fantastiques dont nous disposons aujourd’hui pour soigner, au lieu de l’envenimer, la plaie paralysante qui sépare des pauvres les collectivités riches.

Difficile? Plus qu’on ne saurait le dire. Mais pas impossible. Parce que Dieu le veut. Et que Dieu nous a rendus capables de vivre dans la sagesse et la fidélité, avec le cœur, selon la logique du don réciproque. C’est cela, et rien de moins, qui est la vocation de l’humanité. Voilà pourquoi nous devons nous employer sans relâche, avec la grâce de Dieu, à combler le terrible fossé entre riches et pauvres, qui continue de diviser notre monde.

Le 15 octobre 2010

Commission épiscopale pour la Justice et la Paix
Conférence des évêques catholiques du Canada

Monseigneur Brendan M. O’Brien, archevêque de Kingston, président
Monseigneur François Lapierre, P.M.É., évêque de Saint-Hyacinthe
Monseigneur David Motiuk, évêque éparque d’Edmonton
Monseigneur Valéry Vienneau, évêque de Bathurst